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REPRISE INTERNE D'UNE ENTREPRISE EN DIFFICULTE

Le 09 juin 2013

REPRISE INTERNE : incompatibilités de principe et dérogations

 

Le plan de redressement par voie de continuation est évidemment considéré comme l’issue la plus honorable d’une période d’observation.

En effet, il présente traditionnellement d’indéniables avantages, à savoir :

-        permettre au dirigeant de conserver son entreprise, son statut et sa rémunération ;

 

-        le mettre à l’abri des sanctions financières, qui menacent ses homologues ayant échoué dans la présentation d’un plan ;

 

-        lui offrir l’opportunité de ne pas être poursuivi en sa qualité de caution (au moins en procédure de sauvegarde).

Bien entendu, en contrepartie, il contraint le débiteur à l’apurement de son passif, sous réserve des délais consentis et des remises de dettes obtenues.

 Cependant, lorsque la capacité d’autofinancement de l’entreprise est insuffisante à présenter un plan de redressement, la tentation peut être forte pour le chef d’entreprise de soumettre au tribunal une offre de reprise « interne ».

L’idée consiste à racheter son entreprise propre, ses moyens de production, sa clientèle, à reprendre tout ou partie des salariés, moyennant un certain prix, parfois symbolique, sans payer le passif qui reste attaché à l’ancienne personne morale, coquille vide que l’on abandonne.

Elle revient à utiliser le cadre juridique de la cession issu du livre VI du Code de Commerce et la très grande souplesse qui s’y trouve attachée, à savoir, la détermination libre (ou presque) du prix de cession, du périmètre de la reprise, des contrats qui méritent d’être poursuivis et des postes de travail qui doivent ou non demeurer.

Cependant, l’appauvrissement des créanciers historiquement attaché à la notion même de procédure collective, la moralisation de la vie des affaires et la méfiance naturelle manifestée envers le dirigeant en place, qui endosse souvent le mauvais rôle lorsqu’il s’agit d’expliquer la déconfiture d’une entreprise, ont conduit le législateur à instaurer, au fil des réformes, un mécanisme d’incompatibilité de principe et de dérogations strictement encadrées.

Pour résumer cette introduction, reprenons la formule, empruntée à Monsieur le Professeur LE CORRE, « le défaillant ne doit pas être le profiteur ».

C’est le sens de l’article L.642-3 du Code de Commerce.    

  • Historiquement, la loi de 1985 (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985) ne contient sur ce point aucune disposition légale, sinon celle suivant laquelle l’offre de reprise doit émaner d’un tiers. Il en résultait un embarras certain de la jurisprudence, hésitant notamment sur la notion de tiers, même si la Cour de Cassation a rapidement admis que les dirigeants de la personne morale n’avaient pas la qualité de tiers.

Le législateur est intervenu avec la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 du 10 juin 1994) ; il a opté pour une incompatibilité de principe.

Cette position s’inscrivait parfaitement dans la tendance législative se dégageant à cette époque et qui visait à moraliser le droit des entreprises en difficultés.

Le nouvel article 21 alinéa 4 de la loi de 1985, issu de la réforme, déclarait irrecevables les offres émanant des dirigeants de la personne morale débitrice ainsi que des proches parents du débiteur (parents ou alliés jusqu’au deuxième degré)

Le texte de l’article L. 642-3 alinéa 2 du Code de Commerce a été modifié par la loi du 26 juillet 2005 puis par l’ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345). Cette dernière a clarifié le texte en déterminant plus précisément l’objet de l’interdiction d’acquérir.

Cette disposition a ensuite été modifiée par l’article 5 de l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010.

            Les travaux parlementaires et la commission mixte paritaire n’apportent que très peu d’enseignements sur la modification opérée par l’ordonnance du 9 décembre 2012.

Néanmoins, la commission des lois du sénat est à l’origine de l’extension de l’interdiction d’acquérir les parts sociales, ou actions, à l’ensemble des titres de capital et aux valeurs mobilières donnant accès au capital de la société.

En l’état actuel de la législation, sont frappés par l’interdiction de présenter une offre de reprise : le débiteur, exploitant direct ; les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale ; les parents ou alliés jusqu’au deuxième degré pour lesquels il existe une présomption irréfragable d’interposition de personnes ; tous les contrôleurs sans aucune dérogation (le contrôleur est considéré comme « initié » et, en conséquence, susceptible de mettre indûment à son profit les informations confidentielles qui lui ont été communiquées) ; toute personne interposée.

  • Les objectifs de cette interdiction sont des plus louables.

Tout d’abord, ils visent à empêcher le débiteur de poursuivre l’exploitation en se débarrassant de son passif, ou en faisant racheter les actifs de son entreprise par des personnes de son entourage à vil prix. Ils visent également à interdire l’acquisition indirecte des actifs du débiteur durant les cinq premières années suivant la cession, à travers les titres de la société repreneuse. Ils ont pour but d’éviter les montages frauduleux et les interpositions de personne.

Néanmoins, la lettre du texte peut être sujette à interprétation.

En effet, qu’en est-il des anciens dirigeants ?

Si l’on opte pour une interprétation stricte du texte, les anciens dirigeants ne semblent pas concernés par l’interdiction de présenter une offre de reprise, sous la réserve évidente de la fraude.

De même, qu’en est-il des associés de la personne morale ?

Ils ne sont pas plus visés par la lettre du texte, tout comme les filiales, les sociétés mères, ou encore les sociétés sœurs d’un même groupe.

Or, chacun sait qu’il n’y a pas lieu de distinguer là ou la loi elle-même n’opère aucune distinction.

Une partie de la doctrine estime dès lors que toute personne, non expressément visée à l’article L. 642-3, est un tiers recevable à présenter une offre de reprise (Ph FROEHLICH & M SENECHAL : De la réalisation de l’actif  LPA N° spécial 9 février 2006, n° 29, p. 21, SP.p.24).

Ainsi, a-t-il été jugé que la simple détention d’une fraction du capital de la société débitrice n’entraîne en elle-même aucune incompatibilité, seuls étant visés par l’interdiction les dirigeants et non les associés (Cf. en ce sens CA PARIS, 4   juin 1996, RJ com. 1996, 314 ; CA PARIS, 3ème chambre B, 7 mars 2003, RG 2003/01833).

Néanmoins, selon d’autres auteurs, un associé détenant, directement ou indirectement, une participation majoritaire ou, du moins, significative dans le capital de la société débitrice, ne saurait être tenu pour un tiers. Son offre de reprise par voie de cession serait donc, normalement, irrecevable (en ce sens, V. B. Soinne, Traité des procédures collectives)

Entre ces deux conceptions se trouve la notion d’ "animateurs".

Si cette notion englobe les dirigeants (expressément visés par l'article L. 621-57, alinéa 4), on ne saurait en exclure les associés significatifs ni, a fortiori, un associé majoritaire, voire unique, sous peine de vider la règle de sa substance (Cf. pour un exemple d’associés majoritaires : CA AIX EN PROVENCE, 14 février 2001, NR : 00/18032).

La marge d’appréciation pourrait dès lors reposer sur différents critères plus pratiques, notamment l’absence de responsabilité de l’actionnaire repreneur dans la faillite de la société pour laquelle il présente une offre de reprise.

La discussion reste pleinement ouverte sur ce point.

Concernant la reprise par une société faisant partie du même groupe, il a été jugé qu’une filiale ou qu’une société mère pouvait fort bien présenter une offre de reprise (CA MONTPELLIER, 10 avr. 2002, JCP E et A 2002, Chronique 1380, p. 1522, n° 5).

Une société sœur par rapport à une autre société au sein d’un même groupe pourrait donc présenter, sans aucune incompatibilité, une offre de reprise.

Cependant, depuis la loi de sauvegarde, les dirigeants de fait sont visés par l’incompatibilité de principe, ce qui permet, selon certains auteurs, d’exclure la société holding des candidats repreneurs.

  • En tout état de cause, il appartient à l’administrateur judiciaire ou au liquidateur judiciaire d’analyser le caractère sérieux de l’offre et la qualité de tiers de son auteur (article L. 642-4 du Code de commerce).

Précisons qu’à l’occasion de la présentation de l’offre de reprise, le candidat repreneur doit fournir une attestation de sa qualité de tiers au sens de l’article L. 642-3 du Code de commerce (article R. 642-1 alinéa 1er).

De même, l’auteur de l’offre doit joindre une note de présentation comportant des renseignements précis relatifs à sa personne, à la société ou au groupe qui envisage l’opération de reprise.

Ces mesures sont destinées à éviter d’éventuelles collusions opérées entre le débiteur et l’auteur de l’offre dans le but de conserver l’entreprise par personnes interposées sans apurer le passif.

Nous savons que l’intention principale du législateur est d’éviter la mise en place d’une convention de prête-nom.

Le législateur a dès lors prohibé la prise de participation indirecte par le dirigeant dans la société repreneuse.

Au contraire, dans le cadre d’une reprise interne, l’objectif est de maintenir en place certains dirigeants, les associer dans la structure d’acquisition afin de bénéficier de leur expérience et de leurs connaissances de l’entreprise.

Ainsi, si l’ancienne gestion n’est pas fautive, il semble inopportun d’interdire la participation (prépondérante ou non) du dirigeant au capital du nouvel actionnariat.

  • D’autres solutions doivent être condamnées :

Certains ne manquent pas d’idées pour détourner l’incompatibilité de principe de l’article L. 642-3.

Ainsi, des reprises d’entreprises opérées par le biais de sociétés apparemment étrangères à la personne du dirigeant sont parfois révélées. Il s’agit en réalité de conventions de portage.Dans une telle hypothèse, la fraude est bien évidemment établie.

L’utilisation de conventions de croupier, ou encore de cessions de parts en blanc ont également déjà été rencontrées : elles tendent à permettre indirectement au dirigeant évincé de garder la mainmise sur son entreprise. Dans un cas comme dans l’autre, et si elle est découverte, la convention, ayant clairement comme objectif de faire échec aux dispositions du Code de commerce, pourra être déclarée nulle.

C’est ainsi que les actes passés en violation de l’article L. 642-3 sont annulés par le Tribunal à la demande du Ministère Public ou de tout intéressé. L’action en nullité  se prescrit au terme d’un délai de trois ans commençant à courir au jour de la conclusion de l’acte ou de la publicité corrélative (article L. 642-3 in fine du Code de commerce).

  • Malgré cette interdiction de principe faite au débiteur, et à ses proches parents et alliés, de présenter une offre de reprise de sa propre entreprise, il est toujours demeuré un certain nombre de dérogations.

Antérieurement à la réforme de 2005, la jurisprudence avait admis que, malgré l’existence des liens de parenté avec le débiteur, la cession devait être autorisée lorsqu’elle était conforme aux intérêts de l’entreprise et de ses créanciers, et lorsqu’elle ne heurtait pas la morale (CA METZ 23 septembre 1992, JurisData n°1992-048424).

Aujourd’hui, plusieurs garde-fous ont été instaurés par le législateur, afin de limiter, autant que faire se peut, le recours à ce procédé.

En effet, en droit positif, le tribunal peut, uniquement sur requête du ministère public, autoriser la cession à l'une des personnes visées au premier alinéa l’article L. 642-3 du Code de commerce par un jugement spécialement motivé, et après avoir demandé l'avis des contrôleurs.

  • En pratique, il est évident que l’option qui consiste à solliciter l’intervention du Ministère Public pour que soit autorisée la cession, par dérogation à l’interdiction de principe posée par le législateur, ne doit être envisagée qu’en dernier recours.

Cela signifie qu’un plan de redressement, qui est toujours préférable, doit être inenvisageable. En outre, la recherche d’autres repreneurs doit avoir échoué. Enfin, la liquidation judiciaire doit n’offrir qu’une très maigre compensation en ne permettant pas d’apurer le passif, même partiellement, dans des conditions satisfaisantes.

A défaut d’offres externes, l’alternative se resserre inévitablement et c’est précisément dans cette situation qu’il convient de comparer les mérites d’une reprise interne éventuelle aux effets souvent désastreux d’une liquidation judiciaire.

En désespoir de cause, le tribunal doit pouvoir autoriser le débiteur à reprendre l’exploitation, purger son passif et par là même, lui donner une seconde chance

Cette solution audacieuse peut s’avérer être la seule a répondre au mieux aux objectifs que le législateur souhaite privilégier.

Ces objectifs sont principalement la sauvegarde des emplois et la pérennité de l’exploitation.

Le règlement du passif n’arrive qu’en troisième position.

Or, une offre de reprise interne (même pour l’euro symbolique) peut fort bien être présentée en tant que clé de voute du redressement d’une entreprise ou d’un groupe de sociétés.

Dans une telle hypothèse, la seule véritable condition consiste à démontrer que la rentabilité prévisionnelle de l’entreprise est incompatible avec la présentation d’un plan de redressement classique et à suivre quelques recommandations :

Tout d’abord, et comme nous l’avons déjà mentionné, il convient de ne réserver la reprise interne qu’aux débiteurs sérieux, qui sont au-dessus de tout soupçon.

Ensuite, il est nécessaire de jouer une parfaite transparence sur les conditions de la reprise, ses participants, ses objectifs. La notion d’interposition de personne est justement destinée à éviter la fraude.

En outre, il ne faut pas redouter une mise en concurrence avec d’autres repreneurs potentiels. Seule la meilleure offre doit être retenue ; cependant, l’offre de reprise interne peut fort bien apparaître comme étant la mieux placée, notamment en termes de sauvegarde des emplois.

Il est nécessaire de bien cibler le cadre juridique de la reprise : constitution d’une nouvelle entité, reprise par la holding existante, par une société sœur issue du même groupe, etc… Les incitations fiscales à la création d’une société aux fins de reprendre une entreprise en difficulté : exonération d’impôts sur les sociétés durant 24 mois sous réserve de remplir certaines conditions fixées à l’article 44 septies du Code Général des Impôts, ne doivent pas être négligées.

Pour terminer, il convient de garder à l’esprit les éventuels écueils de cette solution, notamment, la mise en jeu des engagements de caution du dirigeant et la mise en œuvre de l’article L. 642-12 alinéa 4 du Code de commerce (transfert de plein droit de la charge du remboursement de certains emprunts garantis par un privilège spécial).

  • Bien que les dispositions de l’article L.642-3 participent de la moralisation nécessaire du droit des procédures collectives, l’incompatibilité de principe posé par le Code de commerce semble pouvoir être critiquée, notamment à travers quelques problématiques essentielles.

Tout d’abord, la loi ne distingue pas entre le dirigeant fautif responsable d’une mauvaise gestion et le dirigeant malheureux qui subit une conjoncture dégradée. Or, cette distinction est, nous semble-t-il, fondamentale. Elle doit d’autant plus être opérée et jouer un rôle déterminant dans la décision du Tribunal, que la reprise par le dirigeant présente des atouts indéniables.

En effet, il est évident que le dirigeant a une parfaite connaissance de son entreprise et présente pour cette dernière, dans la grande majorité des cas, un attachement manifeste. En outre, le dirigeant fait souvent preuve d’une grande détermination dans le redressement de son entreprise. Il bénéficie, fréquemment, de la confiance des salariés, des principaux partenaires et des clients de l’entreprise. L’ensemble de ces éléments font du débiteur malheureux un potentiel repreneur dont la candidature devrait retenir toute l’attention du Tribunal et, parfois, être autorisée.

En outre, et dans un autre registre, la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 642-3 peut être soulevée.

Existe-t-il un intérêt légitime à restreindre à tel point la libre disposition des biens ? Rappelons que la libre disposition des biens comprend celle d’acquérir.

De même, une telle atteinte n’est-elle pas disproportionnée au but recherché par le législateur?

Il y a fort à parier qu’une question propriétaire de constitutionnalité sera bientôt posée sur cette incompatibilité de principe prévue par l’article L. 642-3 du Code de commerce.

 

Intervention de Maître Stéphane PIEUCHOT (Avocat spécialiste en droit commercial Procédures collectives – Entreprises en difficulté) au colloque « Les montages à l’épreuve et au service du droit des entreprises en difficulté », organisé par le CRDP de l’Université de Caen (Droit et Sciences Politiques) le 12 avril 2013.

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